Entrevue - Gloria

 

J'ai récemment accordé une entrevue à Claude Thibault de Sortiesjazznights.com à propos des musiques de Gloria.

CT sortiesjazznights - Salut Sylvain, la suite jazz Gloria est une commande de l'Église du Gesù, lieu de culte de la rue Bleury, aussi bien connu pour son Centre de créativité, pourquoi une église voudrait-t-elle présenter un tel projet ?

SP - Cette invitation m'a été lancée en 2012, et la première représentation en a été faite le 6 juillet 2013. Je ne connais pas leur motivation exacte à propos de cette suite-jazz écrite selon la structure d'une messe traditionnelle (introït, kyrie, gloria, psaume, alléluia, etc.) Par contre, je peux te dire où nos univers se rejoignaient. La musique possède entre autres le pouvoir de rassembler et d'unir des gens entre eux et en eux, de créer une sorte de communion spontanée. Cette manifestation d'un des effets de la musique revêt le sens noble du concept de religion – car, religion vient du latin religare qui veut dire relier. Donc, c'est à cet endroit précis que nos perspectives se rejoignaient. La tradition de la musique sacrée remonte à très loin. Mozart, Bach et Stravinsky et tant d'autres en ont composé de superbes. Du côté du jazz, Duke Ellington a composé nombre de pièces de musique sacrée et Charles Mingus y a fait allusion à maintes reprises. Eu égard à ces standards, la composition d'une messe représentait un défi de taille pour moi. Donc, au lieu de crouler sous la pression de faire aussi bien ou mieux que ceux-ci, j'ai choisi de traduire musicalement mes émotions le plus fidèlement possible, en toute confiance, dans un esprit, non pas de compétition, mais de partage sincère et enjoué. Avec cette idée en tête, la musique s'est toujours imposée d'elle-même. L'émotion prime le style.
 
CT - Que veut-tu partager et faire passer comme message, si message il y a, avec Gloria ?

SP - Gloria, c'est comme 10 films pour les oreilles qui racontent l'aventure humaine dans ce qu'elle de plus beau et déchirant. Aussi, c'est une musique dont l'auditeur est le héros : elle n'impose pas (en répétant des paroles, par exemple), elle suggère. L'auditeur s'en fait son propre cinéma selon ses dispositions. Idéalement, l'ensemble est un voyage hors du temps, à partager en bonne compagnie.
 
CT  - Tu pourrais élaborer sur ton choix d'instrumentation (guitare, sax, trompette, basse) ainsi que les musiciens du projet ?

SP - Parlons des absents d'abord : il n'y a pas de batterie. J'ai choisi de ne pas en inclure à cause de la réverbération dans l'église – je trouvais que ça nuirait à l'ensemble des nuances. À propos de l'instrumentation donc, pour les personnages principaux j'ai choisi le duo saxophone ténor et trompette (j'aime beaucoup l'usage qu'en font Horace Silver et Dave Douglas, par exemple), mais aussi le duo saxophone soprano et flugelhorn. Pour soutenir et propulser le tout, il y a la contrebasse. Puis, la guitare vient ponctuer et colorer le paysage sonore. Je suis ravi de jouer avec des musiciens expérimentés, ouverts, attentifs et généreux. Yannick Rieu (saxophones) traduit d'une façon sublime les idées musicales proposées dans mes compositions : il peut les amener dans des endroits dont je n'aurais même pas soupçonné l'existence. On explore, donc. Maxime St-Pierre est aux trompettes pour sa force et sa musicalité : les phrases musicales arrivent à sa trompette comme les outardes reviennent au printemps (autrement dit, c'est d'un naturel désarmant.) Guy Boisvert, que j'aime à appeler Guy « de velours » est la contrebasse. Comme son surnom le laisse entendre, il a un son velouté, satiné même, mais lorsque la musique le nécessite, sa basse montre ses crocs...

CT - Au niveau de l'écriture, quel est ton processus de création ?

SP - Quand je compose, je le fais toujours à partir d'émotions ou d'histoires. Donc, chacune des pièces de Gloria raconte musicalement quelque chose qui m'est arrivé. Mon défi réside surtout dans le fait de traduire de façon convaincante ces émotions en musique, ce qui peut être ardu et pénible, mais ô combien réjouissant lorsque l'exercice réussit! Aussi, afin de favoriser l'imagination et le développement de l'oreille interne, j'écris toutes mes partitions à la main sur du papier de chef d'orchestre. Hé oui! C'est une méthode un peu anachronique en 2015, mais quand on se donne le temps, c'est la musique qui y gagne...

CT - Qu'est-ce qui t'a inspiré à présenter ce projet spécifiquement à la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours ?
 
SP - Je n'étais pas certain de le faire là avant d'y avoir répété avec l'ensemble; après, j'en étais certain. Le son y voyage et mûrit bien et l'équipe qui y travaille est chaleureuse. Ayant été construit en 1771, l'endroit lui-même dégage une atmosphère riche qui est difficile à expliquer à quelqu'un qui ne l'a pas ressenti (tenter de le faire serait comme essayer de décrire le goût des champignons...)

CT - Comment décrirait-tu le style musical de ce projet aux lecteurs ?

SP - Un heureux mélange entre les univers de Charles Mingus, Igor Stravinsky et Harry Potter.
 
CT - Quelle musique écoutes-tu dans la vie de tous les jours ?
 
SP - Ça dépend de mon humeur : en général, j'aime le silence; sinon, j'écoute ces temps-ci Mike Moreno, Medeski Scofield Martin & Wood, Charles Mingus, Kenny Wheeler, Dave Douglas, Terrence Blanchard et mononcles Igor [Stravinsky] et Momo [Ravel]. J'ai une affection particulière pour le travail de René Lussier et Richard Desjardins.
 
CT - Si tu avait le choix de jouer avec n'importe quel artiste, vivant ou décédé, ça serait qui ?

SP - Brian Blade! C'est un musicien de génie. J'ai écouté plusieurs de ses concerts et à mon avis, il n'y a que très peu ou pas de distance entre le moment où il conçoit une idée et son exécution – c'est la liberté en action… et ça, c'est drôlement inspirant!

Source : http://www.sortiesjazznights.com/

Extrait : https://www.youtube.com/watch?v=n9JTXSwt4eI#t=39